Réchauffement
climatique : nouvelles fraîches
Gérard
Schumacher
Astrophysicien
Directeur
de Recherche CNRS
Depuis
plus de 40 ans un nombre croissant de chercheurs essayent d'alerter
le monde sur les dangers du réchauffement climatique. Beaucoup
d'études confirment depuis qu'il y aura bien un réchauffement très
rapide, essentiellement à cause de l'émission de CO2
due à l'activité humaine. L'atmosphère terrestre est,
thermodynamiquement parlant, un milieu très complexe, et beaucoup
d'études sont en cours. Ce qui est préoccupant,
c'est que
l'on
a l'impression, à travers toutes les informations qui circulent dans
les médias, que ce réchauffement se produira de façon linéaire et
progressive, pour atteindre quelques degrés de température moyenne
globale à la fin du siècle.
Or
ce schéma est très probablement faux : les conséquences
réelles seront beaucoup plus graves, comme le montrent des études
récentes.
Tout
d’abord il faut clarifier quelques notions qui sont parfois mal
comprises.
1)
La température globale moyenne
Les
phénomènes climatiques mettent en jeux d’immenses quantités de
matière (atmosphère, océans, végétation, banquise, croûte
terrestre) qui ont une très grande inertie thermique. Or la
température instantanée que l’on mesure avec un thermomètre
varie beaucoup entre le jour et la nuit, l’été et l’hiver, et
selon que l’on se trouve aux pôles ou à l’équateur. Lorsque
les climatologues parlent de température ils préfèrent utiliser
une valeur qui est significative pour les phénomènes climatiques.
Ils calculent alors la moyenne des températures en un lieu donné,
sur une longue période de temps (un an ou plus), puis ils moyennent
ces valeurs sur toute la surface du globe.
On
peut parler de moyenne spatio-temporelle. Cette valeur est appelée
température
moyenne globale.
Elle était de 15°C au milieu du 19éme siècle, au début de l’ère
industrielle, et nous la prendront comme température de référence.
Une élévation même faible de cette température moyenne globale a
des conséquences très importantes sur le climat, comme on peut déjà
s’en rendre compte aujourd’hui, alors quelle n’a augmenté que
d’environ 0,8 °C.
2)
L’effet de serre
Figure 1
Lorsque
ce rayonnement rencontre un obstacle, par exemple la Lune, une
partie Figure 1
du
rayonnement est réfléchi et perdu dans l’espace. L’autre partie
est absorbée et contribue à réchauffer légèrement la surface de
la Lune. Ce petit réchauffement provoque à son tour une émission
de faible énergie dans le domaine infra-rouge (invisible) qui est
lui-même dissipé dans l’espace.
Dans
le cas d’un objet qui possède une atmosphère constituée par
exemple d’azote (80%) et d’oxygène (20%) comme la Terre (Fig.
1), il n’y a pas de différence majeure avec la Lune. Aussi bien le
rayonnement incident du soleil que les rayonnements émis
(rayonnement réfléchi du Soleil et rayonnement infrarouge)
traversent sans encombre cette atmosphère.
Cependant
certains gaz peuvent être transparents à la lumière visible (celle
du Soleil) mais sont opaques à la lumière infrarouge invisible.
C’est le cas du CO2
et du méthane. Dans ce cas le rayonnement infrarouge émis par la
Terre est piégé par l’atmosphère et contribue à son
réchauffement. C’est l’effet de serre, expression venant des
serres agricoles où le verre joue le même rôle que l’atmosphère.
Depuis
le milieu du 19ème siècle nous injectons de plus en plus de CO2
dans l’atmosphère ce qui va modifier de façon importante et
durable le climat de notre planète. A titre indicatif, sur la
planète Vénus (elle est certes un peu plus proche du Soleil, et
l'atmosphère est constituée surtout de méthane et d'ammoniac) la
température de surface est de 460 °C principalement à cause de
l'effet de serre.
3)
Les rétroactions
Il
existe plus de huit phénomènes physiques responsables des
modifications du climat. Les plus importants sont la fonte des
glaces, le réchauffement du permafrost, la déforestation et
l'évaporation du CO2
dissout
dans les océans.
Ce
qui complique le problème du réchauffement c’est que tous ces
phénomènes sont affectés d’un effet de rétroaction. Pour faire
simple, une rétroaction (comme pour les systèmes asservis dans
l’électronique) c’est une boucle où l’on injecte dans
l’entrée ce qui vient de la sortie. Le système fait alors « boule
de neige » et s’emballe.
Figure 2
Par
exemple dans les océans, il y a beaucoup de CO2
dissout
qui provient de l'intense activité volcanique de la planète au
début de son existence, il y a plusieurs milliards d'années. Il
s'agit de quantités dissoutes gigantesques, bien supérieures à
celles produites par l'activité humaine. On sait aussi que, lorsque
la température augmentera, une partie de ce CO2
se libérera, Figure 2
un
peu comme lorsque l'on débouche une bouteille
d'eau gazeuse (mais plus progressivement). Ce CO2
contribuera à augmenter l'effet de serre, qui fera augmenter encore
plus la température, qui fera libérer encore plus de CO2
et ainsi de suite. Il y aura un effet d'emballement parce que c'est
une situation thermodynamiquement instable, et il n'y aura plus
aucune possibilité de faire marche arrière ni
de stopper le processus (Fig. 2).
Mais
il y a pire encore. Tous ces phénomènes sont liés, ce qui signifie
que lorsque l’un d’entre eux commence, il entraîne tous les
autres. C’est le basculement climatique.
4)
Le basculement
Jusqu'à
présent on ne savait pas à quelle température se produira ce
basculement. Ce qu'il y a de nouveau, c'est que La Communauté
Européenne a contribué récemment, en conjonction avec la National
Science Foundation (équivalent du CNRS aux USA) et
de
nombreuses autres fondations, au financement d'un travail concernant
le basculement climatique. Seize chercheurs climatologues
internationaux renommés y ont participé, et les résultats ont été
publiés le 14 août 2018 dans la revue des Comptes Rendus de
l'Académie des Sciences Américaine (PNAS), éditée par
l'Université de Harvard (voir références ci-dessous).
Cette
étude révèle que le basculement se fera autour de 2
°C
de réchauffement seulement (par rapport à la température de
référence du milieu du 19ème siècle). Compte tenu de la dernière
publication du GIEC (Groupement d’experts Inter-gouvernemental sur
l’Évolution du Climat, 8
octobre 2018),
on voit bien que
l'on
atteindra cette température dans quelques décennies, malgré les
accords de Paris. Et ceci dans la plus grande indifférence générale.
Sur
la Figure 3 les chercheurs ont représenté en 3 dimensions la
trajectoire du système Terre avec les 3 variables temps, température
et stabilité (Énergie). Si l’on avait pu contrôler l’élévation
de température, nous serions resté dans la partie gauche du
diagramme (en bleu) et nous aurions continué à subir des cycles
glaciaires. Malheureusement nous nous trouvons au sommet de la
colline au milieu. Si nous réagissons très vite (quelques années)
en limitant drastiquement l’émission des gaz à effet de serre,
nous avons encore quelques chances de stabiliser le climat et de
rester sur la crête. Si nous réagissons trop tard nous allons
plonger dans la vallée à droite (en rouge) et la Terre va se
transformer en fournaise à la fin du siècle. Nous ne pourrons plus
en sortir parce que c’est une situation stable. Dans
nos régions nous aurons vers 2050 des canicules de plus de 50°.
Pour
marquer les consciences, les chercheurs ont calculé qu’à la fin
du siècle, dans le Nord de la Chine, le temps de survie d’un homme
en bonne santé ne sera que de 6 heures.
Il
faut donc éviter à tout prix de dépasser cette augmentation
fatidique de 2° et pour cela il faut agir dès
maintenant,
à cause de l’énorme inertie des phénomènes en jeu. Il y a donc
urgence
absolue pour
essayer d'inverser le courant, au prix d'une modification drastique
du mode de vie de tous les habitants de la planète . Sinon
les mammifères, dont nous faisons partie, ainsi que la plus grande
part de la biodiversité disparaîtront tout simplement, comme les
dinosaures il y a 60 millions d’années, mais pour une raison
totalement différente.
C'est
le plus grand défi auquel l'humanité est confrontée, depuis
qu'elle existe.
Tourrettes
4 juin 2019
Références:
Article
de Futura Sciences qui a signalé l'article du PNAS et qui est une
bonne introduction:
Article
original du PNAS:
Traduction
en Français par mes soins:
Dernier
rapport du GIEC (8-10-2018) en anglais :
On
peut voir un résumé de ce rapport dans Le Monde :
On
peut également consulter le récent opuscule de A. Hessel, J. Jouzel
et P. Larrouturou: "Finances, Climat, Réveillez-vous !"
Indigène Editions (oct. 2018)